On la disait tatillonne et acharnée, nerveuse au point d’en être énervante, mais pour Marie Line, ce qui comptait, c’était que chaque seconde de la vie ait un sens. Toute perte de temps l’horripilait au plus haut point. Elle abhorrait particulièrement de devoir attendre que sèchent ses ongles fraîchement vernis : « Que de temps gaspillé! » l’entendait-on rouspéter. Non pas qu’elle ne s’était jamais abandonnée à l’oisiveté – jeune et insouciante, elle s’était même adonnée sans vergogne au farniente — mais désormais, à ses yeux, cette époque de paresse était bel et bien révolue, que dis-je! elle était morte et enterrée.
Après avoir fréquenté McGill et Concordia (elle s’intéressait alors aux langues et cultures espagnole, italienne et arabe) et parcouru le monde en tous sens, elle envisage de revenir à ses premières amours, la photographie. Ayant décroché un boulot chez un photographe professionnel dont la spécialité était… l’art culinaire, elle s’attaque au mariage de deux passions dans un même emploi : la photo et les gâteaux. Elle y met un art consommé.
Comme toute bonne chose a une fin, et comme toute faim n’est pas une bonne chose, son esprit insatiable l’incite à s’intéresser à nouveau à la chose linguistique, d’autant plus qu’elle se rend compte que le poids des années qui passaient se faisait sentir… dans sa tête comme autour de sa taille. Elle entreprend alors de retourner sur les bancs d’école (ô bonheur!) et de retrouver le temps perdu – et sa taille de guêpe (autrement dit : se perdre dans les livres pour mieux perdre les livres gagnées). Ainsi s’écoulent allégrement les années, et au gré des certificats en traduction, notre Marie Line prend confiance en l’avenir et, oserions-nous le dire, en l’humanité.
Ses contacts fréquents avec les traducteurs en devenir, professeurs et autres prosélytes du secteur langagier étaient un véritable baume pour l’âme. Au cours d’un long périple au fin fond de l’Orient, Marie Line sent qu’elle a effectivement trouvé son chemin de Damas : elle sera bel et bien traductrice! Et à son retour, investie de cette nouvelle mission, elle apprend – un bonheur ne vient jamais seul! — que sa voie est toute tracée : c’est dans le giron de Syntagme que sa vocation nouvelle pourra se révéler dans toute sa gloire.